Comme l’atteste le panneau situé en face de nos locaux, nous sommes sur un site historique qui vit le premier avion de l’histoire décoller… Ce panneau honore la mémoire de Clément Ader. Il est quasiment à notre porte, juste au débouché du rond-point desservant notre zone : « Ici sur le plateau de Satory le 14 Octobre1897 Clément Ader réussit sur « l’Avion », appareil conçu et construit par lui, malgré pluie et vent, à s’arracher du sol et de faire un envol contrôlé de 300m ».
Clément Ader est né le 2 avril 1841 dans une famille où l’on était menuisier et architecte depuis des générations. Avec son diplôme d’ingénieur en poche, il entre d’abord à la Compagnie des Chemins de Fer du Midi où il imagine une machine à poser les rails qui fut utilisée pendant des dizaines d’années. Il se lance ensuite dans la fabrication de vélocipèdes avec l’idée de coller une bande de caoutchouc sur les roues et d’utiliser un cadre creux pour alléger la machine. La guerre de 1870 le ruine et il monte alors à Paris avec pleins d’idées en tête et, surtout, une obsession : parvenir à faire voler le plus lourd que l’air. Mais il faut beaucoup d’argent pour développer et matérialiser son rêve, et il a aussi une famille à faire vivre. Intéressé par le téléphone naissant, il perfectionne le système de Graham Bell et commence à le commercialiser à Paris. Il invente aussi le théâtrophone, réseau téléphonique relié à l’opéra de Paris et qui permet d’écouter l’opéra en restant chez soi. Le premier aussi, il imagine de réunir par une poignée le microphone et l’écouteur, inventant ainsi le combiné téléphonique. En peu de temps, il accumule une grande fortune et multiplie les contacts influents au sein du gouvernement. Il se servira de ces ressources pour placer son projet auprès du ministère de la Guerre : l’Éole.
On le crédite aussi de beaucoup d’autres inventions : les chenilles pour les chars, le câble sous-marin que sa compagnie posa en Méditerranée, l’aéroglisseur avec son prototype de barque sur coussin d’air, et aussi le moteur V8, résultat de la recherche d’une motorisation parfaitement équilibrée pour ses machines volantes. Sa vraie passion, et ce pourquoi il restera dans l’histoire, c’est de parvenir à faire voler le plus lourd que l’air. Ses études sur le vol des vautours lui font découvrir de manière empirique la courbure de sustentation qui permet le vol à une aile. Son premier vol sur 50 mètres et à 20 cm du sol aurait eu lieu le 9 octobre 1890 dans le parc du château de Gretz-Armainvilliers, à l’Est de Paris, aux commandes de l’Éole.
Cette expérimentation était financée par le baron Péreire, un important banquier qui avait entre autres participé aux opérations immobilières liées à la modernisation de Paris dirigée par le préfet Haussmann. Intéressée par le projet, l’Armée contacte Ader, qui effectue un deuxième vol à bord de l’Éole en septembre 1891. L’appareil impressionne positivement les militaires qui commandent à Ader un second appareil plus puissant. Ader commence alors la construction d’un second appareil, évolution du premier mais présentant des similitudes avec l’Éole : l’appareil est monomoteur, bicylindre à vapeur ultra-léger de 20 ch et 35 kg, le moteur à vapeur le plus léger au monde ! L’Avion II (Zéphyr) n’est pas achevé, mais sert de base à l’Avion III (Aquilon) qui est un bimoteur permettant d’éliminer les problèmes d’instabilité de l’Éole, qui étaient dus aux effets de couple de la simple hélice et pouvant embarquer un observateur en plus du pilote, sur demande de l’Armée.
L’Avion III effectue un vol de 300 mètres devant un comité militaire le 14 octobre 1897 à Satory. Ce vol s’étant déroulé dans des conditions météorologiques très mauvaises, l’Avion III est endommagé lors de son atterrissage. Le ministère de la Guerre cesse de financer Ader, qui est contraint d’arrêter la construction de ses prototypes (l’Éole avait coûté 200 000 francs de l’époque, soit près de 8 millions d’euros). Il tente alors de donner son fabuleux moteur à vapeur au capitaine Renard, qui travaille sur la navigation des dirigeables, puis se lance dans la fabrication des moteurs à explosion. L’équilibrage de ces V8 montrent toujours le souci d’une utilisation aéronautique.
Contraint au secret militaire (les archives de Satory n’ont été rendues accessibles que dans les années 1990), il ne parle de ses vols qu’en 1906, après celui de Santos-Dumont à Bagatelle. Ce silence est à l’origine de la controverse entretenue par les partisans des frères Wright qui réussirent aux Etats-Unis, à partir d’une analyse scientifique de la sustentation, un vol motorisé et contrôlé le 17 Décembre 1903. En France, à l’époque, personne n’a entendu parler des frères Wright. Santos Dumont prétend donc être le père de l’aviation. Un débat national s’engage pendant plusieurs années, sans qu’on parvienne vraiment à trancher.
On finit généralement par admettre le vol de l’Eole, qui décolla devant témoins, et repousser étrangement l’existence du vol de 1897. Mais les travaux du général Pierre Lissarague, menés dans les années 1990 (travaux basés sur les archives secrètes de l’armée) tendent à prouver la réalité du vol de 1897. Afin de faire toute la lumière sur ces vols, plusieurs maquettes motorisées de l’Eole et de l’Avion III furent réalisées. Si les maquettes de l’Eole démontrent clairement que l’appareil était capable de s’élever dans les airs, le succès est moins net avec l’Avion III. Son très mauvais équilibre et son gouvernail inutilisable expliqueraient en tout cas les raisons de l’accident.
Dans les photos : le moteur à vapeur de l’Eole, le plus léger du monde : 35kg pour 20cv, tel qu’on peut le voir aujourd’hui au musée du Bourget, et reconstitution de l’Eole avec son condenseur proéminent pour l’utilisation de l’eau-vapeur en circuit fermé. Photo d’époque et reconstitution telle qu’exposée aujourd’hui au Musée des Arts & Métiers de Paris.